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Performance
(25:00)

La langue du chantier,
Invitées par CITÉ dans le cadre des Rendez-vous de l'urbanisme,
17.10.2024,
Pavillon Sicli, Route des Acacias 45, 1227 Genève

 

Cette performance s’inscrit dans le cadre de la soirée de lancement du programme Quartiers en chantier organisée par CITÉ, le centre interdisciplinaire pour la transition des villes et territoires des hautes écoles de Suisse occidentale. Devant un public composé essentiellement de professionnels de l’aménagement du territoire et de l’architecture, la performance cherche à soulever certaines questions : Qui parle du chantier ? A partir d’où ? Et à destination de qui ? Quelles autres langues émergent du chantier ? Elle se déroule en deux tableaux. Le premier en collaboration avec des étudiant·e·s des hautes écoles de Genève fait entendre des récits célébrant le présent du PAV, ses nuits, ses textures quotidiennes et les traces de son passé. Le second explore les différentes langues du chantier, et la légitimité qui leur est accordée ou non dans les discours dominants sur le chantier.

 

 

[00:00]

 

 

[Musique. AD et ZL marchent vers la scène, par les deux côtés, AD lit]

 

 

On pourrait imaginer que la langue du chantier est le fruit névrosé

De l’accouplement d’une langue artisane, sachante

Avec un langage de rue, un argot de la matière, une

Langue de bétonneuse, un dialogue de repas de midi entre ouvriers ouvrières.*

 

* Sur la base du Manifeste de la langue bâtarde, dans Fiévreuse plébéienne, Elodie Petit

 

Cette langue de chantier-là, c’est celle qui pourrait advenir.

Qu’on devrait apprendre à écouter, à manier.

 

Mais la machine-chantier fait aussi du bruit,

du bruit qui silencie,

Qui licencie cette langue de chantier.

 

 

[03:19]

 

[Fin de la musique. ZL accroche une lampe, AD et ZL s’asseyent]

 

[04:00]

 

Exposition au bruit caractéristique pour des professions et fonctions :

 

 

Mineur 90 db / Conducteur de machine de chantier 80 db / Préposé au concassage 95 db / Laborant 75 db / Grutier 75 db / Opérateur combustible alternative 83 db / Généraliste 86 db / Employé à l’entretien de la salle de commandes 80 db / Marteau perforateur 105 db / Marteau perforateur portatif pneumatique 105 db / Marteau piqueur pneumatique insonorisé 100 db / Machines de chantier 83 db / Pelle hydraulique 83 db / Pelle équipée de brise-roche 95 db / Moulin à ciment 105 db /

 

 

La machine-chantier dépasse les bornes, les limites.

Le langage du chantier, c’est les décibels sans limitation.

On y tolère un volume au-delà du supportable.

On y tolère ce qui est interdit ailleurs.

 

Mais ces décibels, cette langue du chantier-là, ce n’est pas celle que nous recherchons.

 

 

Lorsque sur le chantier, on ne s’entend pas, on fait appel aux gestes.

Les gestes seraient-ils donc cette langue de chantier que nous recherchons ?

 

[AD et ZL font les gestes, ZL suit AD]

 

5 gestes de grue :

Premier geste : départ de chantier – lever lentement les deux bras à la verticale

Deuxième geste : mouvement vertical – bras gauche plié vers le haut, rotation

Troisième geste : vertical lent – bras gauche plié bas, bras droit en corbeille, rotation main gauche au-dessus de main droite

Quatrième geste : mouvement horizontal : mouvement de glissière des deux mains

Cinquième geste : fin de chantier – deux bras écartés à l’horizontale

 

Lorsque des gestes se transmettent de toit en toit, de corps en corps, ils produisent une poésie, une marge, un trouble, liés aux corps qui les incarnent.

 

Tout peut s’inventer dans les creux de la langue.

 

Mais dans la machine-chantier, les gestes eux-mêmes sont limités.

 

Le geste devient un langage codé, normé. De montée, de descente.

De sa non-ambiguité absolue dépend la survie.

Le chantier exige que les gestes se défassent de leur richesse.

De leur potentiel d’invention.

Il appauvrit la langue des gestes.

 

 

[11:15]

 

[AD s’assied sur la scène, ZL marche jusqu’à la deuxième scène arrière, ZL lit]

 

Dans le language des architectes,

Qu’est-ce que qui fait précédent ?

Qu’est-ce qui est le préalable ?

Ce qui vient avant qu’on construise ?

La première pierre du chantier ?

 

Et si c’est le nom du projet,

Quels récits convie-t-il,

Et à quels récits contribue-t-il ?

 

Non, dans cet ensemble de noms de projet,

 

Ce n’est toujours pas là

que l’on trouve la langue du chantier.

 

Il y a de l’enjambement.

Les noms de projet nous projettent plus loin, ou ailleurs.

 

Ils véhiculent du générique, ils cherchent à plaire,

mais ils ne font pas entendre le chantier.

 

Ils ne cherchent peut-être pas à le voir,

les yeux rivés sur l’horizon.

 

 

[AD lit]

 

 

Mais on n’aperçoit pas du tout les mêmes choses

selon qu’on élargit sa vision à l’horizon qui s’étend,

immense et construit, au-delà de nous,

ou selon qu’on aiguise son regard sur le chantier qui passe,

complexe et mouvant,

tout proche de nous.

 

Voir l’horizon, l’au-delà, c’est ne pas voir le chantier

tel qu’il vient nous effleurer.

Tel qu’il est là, dans nos vies.

 

C’est le long cours du chantier qui devrait occuper toute notre attention.

 

 

[12:30]

 

[Musique. AD + ZL se lèvent, elles défont les lampes et s’en vont, elles marchent très lentement]

 

[AD lit]

 

Il y a un problème avec le langage.

 

Enchaîné au chantier, tout aussi important que lui,

le langage est à contretemps.

 

Tantôt faiseur de récits, enveloppant, voire totalisant

Tantôt à rebours, essayant de rattraper le chantier

et de lui donner sens dans la ville.

 

 

Comment parler

du chantier,

avec le chantier,

comme chantier,

au service du chantier,

au service d’un quartier en chantier ?

 

Avec celleux qui le pensent, le façonnent, et le vivent ?

 

 

[ZL va enlever drapeau, AD lit]

 

 

On pourrait imaginer que la langue du chantier est le fruit névrosé

De l’accouplement d’une langue artisane, sachante

Avec un langage de rue, un argot de la matière, une

Langue de bétonneuse, un dialogue de repas de midi entre ouvriers ouvrières.*

 

Cette langue de chantier-là, c’est celle qui pourrait advenir.

Qu’on devrait apprendre à écouter, à manier.

 

 

⇒⇒ ⇒  Nous cherchons encore la langue du chantier.