Ce texte est une contribution au premier magazine de PAV living room, qui fait suite à la première itération de la série d’événements PAV living room, qui se sont déroulés en 2023. Les textes rassemblés constituent ensemble à la fois une masse réflexive sur ces événements, par le prisme des imaginaires brassés par ceux-ci, et prospective en vue de la deuxième itération du festival en 2024. La contribution “Des images qui nous mobilisent” se penche sur les rapports entre images, imaginaires et politique. Elle s’intéresse à l’incapacité de ce qui est appelé imagination dans le champ de la production de l’urbain à renouveler nos imaginaires, et aux pratiques d’imagination politiquement fertiles qu’il nous faut apprendre à cultiver et légitimer, auxquelles une série d’événements telle que celle de PAV living room à la puissance potentielle de contribuer.
⇒ Alors que nous sommes sans cesse sollicité·e·x·s par des images, que nous participons touxtes à les créer en quantités industrielles et à les faire circuler, notre capacité politique à imaginer, c’est à-dire à envisager les choses différemment et construire des projets politiques alternatifs, ne semble, elle, pas bénéficier de la profusion contemporaine des images.
⇒⇒ S’il est de plus en plus aisé de produire des images, et notamment, des imagesdes futurs possibles, ce qui devient de plus en plus fragile est plutôt notre capacité à faire que les images
⇒⇒⇒ importent dans le monde,
⇒⇒⇒⇒⇒⇒ qu’elles aient un poids,
⇒ qu’elles nous engagent au changement en tant que société. Dans ce contexte, cet article fait le point sur ce qui est mis derrière le terme imagination, et précise les traits d’une imagination politique.
⇒ Le champ de l’architecture et de l’urbain n’est pas épargné par ce paradoxe apparent d’appauvrissement et de saturation simultanée de l’imagination. La capacité à donner à voir des projets, des quartiers, des rues,
⇒⇒⇒ des futurs,
est plus développée que jamais. Pourtant, la profusion d’images des environnements urbains produite est loin de participer à une réinvention des imaginaires de l’urbain. La masse et la ressemblance des imagesentre elles semblent plutôt réaffirmer les mêmes types d’espaces partout, ou encore suggérer leur interchangeabilité. Tout s’aplatit,
tout est image,
et rien ne trouble l’ordre des choses. Aucun contenu ne semble plus suffire à soulever à lui seul des désirs et des énergies de transformation collectifs.
⇒ L’urbain en tant que champ de pratiques qui produit, analyse et retravaille des images n’est pas non plus épargné par la tendance à continuer de se fixer sur le contenu des images, plutôt que sur les manières dont celles-ci nous affectent et conditionnent nos imaginations et nos modalités d’être au monde. En effet, dans l’histoire des disciplines de l’architecture et de l’urbanisme, l’ imageet l’imagination en sont venues à prendre des formes très spécifiques et codifiées, correspondant à différentes techniques de production d’ images. La maitrise des codes de représentation est devenue la porte d’accès unique et sélective au sens des imageset des imaginations proposées par ces disciplines.
⇒ Le spectre de ce qui est aujourd’hui considéré comme imagination architecturale est donc extrêmement réduit. Par exemple, les gestes, l’oralité, ont été complètement écartés du spectre des pratiques d’ imaginationreconnues comme architecturales par la tradition occidentale. Remettre en question les manières dominantes et normatives de vivre, de produire et d’ imaginerles territoires demande que nous ré-apprenions à imaginerde manières plus diverses, et à reconnaître les formes d’ imaginationarchitecturale et urbaine que nous participons à invisibiliser ou délegitimer.
⇒ Aujourd’hui, de nombreuses pratiques portées par des collectives féministes, queer et postcoloniales insistent sur la nécessité de pratiques pluralisantes, attentives aux rapports de force et aux inégalités que nos imaginaires participent à reproduire.
⇒⇒ Elles nous invitent à commencer à partir du désordre,
⇒⇒⇒ du cœur des écologies dans lesquelles nous sommes inscrit·e·x·s,
et à observer comment celles-ci peuvent être transformées par le fait d’entraîner collectivement nos attentions, nos langages et nos mouvements à dessiner et suivre d’autres trajectoires. Ici, l’ imaginationest une pratique collective, un apprentissage à plusieurexs, une répétition insistante des récits pour en déceler les failles, les non-dits, et les possibles.
⇒ Défendre et étendre notre capacité collective à imaginernécessite de se pencher sur la dimension mobilisante des images: leur effet sur les corps et les relations. Il s’agit de mettre en place des pratiques architecturales et urbanistiques différentes, qui redonnent une place aux affects, aux pratiques collectives, au récit;
⇒⇒ non pas comme des éléments secondaires ou marginaux du projet urbain,
⇒⇒⇒ mais comme pratiques centrales à l’ imaginationd’alternatives spatiales,
⇒⇒⇒⇒⇒⇒⇒⇒⇒⇒ sociales et politiques.
⇒ Ici, les images mobilisantes prennent la forme
⇒⇒ de fragments de performance ou de texte,
⇒⇒ de tracés éphémères sur une carte,
⇒⇒ de drapeaux plantés quelques instants,
⇒⇒ de souvenirs,
⇒⇒ de sensations atmosphériques mémorisées par des peaux,
⇒⇒ ou d’amitiés naissantes.
⇒ Malgré leur accumulation, leur pouvoir peut paraître dérisoire si elles sont évaluées comme représentations du futur. Pourtant, ces imagesnous mobilisent. Et, au cœur de la condition contemporaine et de sa profusion d’ imagescreuses, ces imagesimportent. Elles suscitent des désirs, inaugurent des solidarités, reconnaissent la multiplicité des passés, des présents et des futurs, et nous rendent attentive·x·s aux futurs possibles.
⇒ Elles révèlent les limitations et la violence liés aux imaginairesdominants qui entourent aujourd’hui le projet urbain.
⇒⇒ Elles subvertissent des modes de faire, de penser et d’ imaginernormatifs. En tant que telles, elles participent à rendre possible une imaginationpolitique pour notre présent. Elles nous guident afin de mieux choisir nos attachements, nos trajectoires et nos solidarités.