plus
moins
écouter figurer
Performance
(25:00)

Date limite,
Invitées par le collectif vendredi et Ressources Urbaines,
31.05.2024,
Marbrerie, Chemin de la Marbrerie 13, 1227 Carouge

Quelles sont les dates limite dans le territoire ?

Qui les décide ?

Et selon quels critères ?

 

Dans le quartier industriel du PAV, il est question de détruire dans les prochaines années la quasi entièreté des structures bâties pour les remplacer par de nouvelles. La Marbrerie est l’une de ces structures. S’inscrivant dans une série de rencontres organisées par ses occupant·e·s temporaires avant la destruction, la performance se saisit de cette occasion pour questionner l’inertie des machines décisionnelles face à la reproduction des habitudes de destruction. Au travers d’un rapprochement entre plateau de bureaux, plateau de théâtre et plateau de scène, il est question de repenser les obsolescences qui importent, les outils et formes de savoirs qui contribuent à nos décisions, et les manières dont les plateaux soutiennent nos collectives.

 

D’abord les gentes lisaient un texte défilant dans le noir

Le texte comporte trois tableaux. Le premier, Castor et Pollux, comme le titre du projet d’architecture prévu à la place du bâtiment de la Marbrerie :

⇒ Marbrerie 13 devient Castor et Pollux. Castor et Pollux, c’est aussi une histoire antique sans fin, sans résolution. Une  histoirequi tourne mal, une  histoiredésespérée.

 

Par Castor ! juraient les femmes.

 

Par Pollux ! juraient les hommes.

 

⇒ Castor et Pollux. Des deux frères, l’un est mortel, l’autre immortel. Castor trouvant la mort au combat, Pollux plaide sa cause auprès de son père, Zeus. Pollux refuse que l’histoire des deux  frères, si proches, ne se termine de manière si asymétrique. Le déséquilibre de leur condition est alors rétabli au prix d’une séparation définitive : les jumeaux sont condamnés à séjourner alternativement, sans jamais se croiser, sur l’Olympe et aux Enfers. Dialectique de l’ascension et de la chute, de la pesanteur et de l’immatériel. L’histoire de Castor et Pollux est l’ histoired’un repos impossible. Ce qui leur est commun, c’est qu’ils sont tous deux en situation d’ impossiblerelâchement.

 

Castor et Pollux est un projet dont le concours a été réalisé en 2012 et l’avant-projet en 2014. Depuis dix ans, procédures, annulations, recours. Aujourd’hui,  dix ansd’attente, et un projet passé de date.

Le deuxième tableau parle de date limite dans le territoire, et du manque d’outils en place pour prendre des décisions :

Il y a des chiffres qui circulent. C’est ce qu’on dit à propos de la vacance dans les structures bâties à Genève. L’Office cantonal de la statistique – OCSTAT – livre les siens*.

Par exemple :

Nombre et surface des bureaux vacants et taux de vacance des bureaux pour 2023 :

 ⇒ Nombre de locaux vacants : 444

 ⇒ Surface vacante en m2 : 314 075

* (1) Le taux de vacance est le rapport, en pour cent, entre les surfaces vacantes et l’ensemble des surfaces existantes. Les surfaces existantes retenues pour ce calcul sont celles au 31 décembre de l’année précédente.

(2) Les chiffres du parc des locaux non résidentiels au 31.12.2014 ne sont pas disponibles.

(3) En raison de la mauvaise qualité des données, les résultats de 2020 sur les surfaces d’activités vacantes n’ont pas pu être diffusés.

(4) Les surfaces totales de locaux non résidentiels n’étant plus calculées depuis le 31.12.2021, le taux de vacance n’est plus disponible à partir de 2022.

 

Impossible à la lecture de ces tableaux de tirer une conclusion productive ou d’élaborer des stratégies.

 

Impossiblede savoir si nous arrivons dans un moment dans lequel un vide conjoncturel laisserait la place à un vide structurel : un videqui resterait  vide, et permettrait des recherches sur la valorisation et les usages. Le manque de données fines ne permet aucune vision. Il conduit à des (non-)décisions, des simplifications, des généralisations.

 

Des destructions.

 

Et des constructions.

 

Le dernier tableau (en)mêle plateaux de bureaux, de théâtre et module de scène. Il rattache notre expérience collective située à la réalité de tout un territoire :

⇒ Aujourd’hui, l’écriture de plateau désigne la manière dont certain·es auteurices travaillent directement au contact et en collaboration avec les acteurices à la création d’une pièce. Pas de primauté du texte. L’investissement du plateau est l’occasion d’un travail de relecture et de redéfinition. Il nécessite un travail collectif, un réseau de fidélités et de complicités qui reconnaît une recherche menée en collaboration.

 

On peut dire du  plateauqu’il est l’espace avant qu’il ne se découpe en lieux. Un terrain pour les agencements souples des idées, avant qu’elles ne se fassent discours.

A la Marbrerie se trame une écriture de plateau. De  plateaux.

Cette  écriture de plateauorganise un trouble productif, dans lequel le non-savoir est tout aussi important que le savoir. Elle organise une connaissance par les gouffres. Le plateau devient un espace de possibles non hiérarchisés, une table de jeu. Le référentiel du plateau est le sol, c’est par rapport à lui que sont calculées les positions et les trajectoires des actant·e·s, ainsi que les devenirs d’incarnation ou de désincarnation dans lesquels ils sont pris.

Si on ralentit, on peut sentir comment les plateauxnous supportent. L’immobilité est alors le point de contact dans lequel se brouillent l’animé et l’inanimé. Le  solest ce qui rassemble les corps, les objets, les possibles. C’est grâce au  plateauque l’on court, l’on danse, l’on tombe, l’on se couche. Le  plateaurésonne des frappements, des raclements, des glissements de pieds, de la chute des corps. Les possibles existent entre les différents éléments, mais toujours, soutenus par le  plateau.

Le plateau devient l’espace de comparution d’évènements qui ne sont autrement pas possibles simultanément.

Sur un plateau, on développe une attention inquiète aux signes. On élabore une langue du plateau. Un corps du plateau. Un langage du plateau. Qui parle ? Quel langage ? Qui danse ? Quelle danse ?

 

Nous avons invité les gentes à sentir,

au travers d’une petite danse,

comment le plateau sur lequel nous nous tenions ensemble nous soutenait

 

[00:00-07:14]

⇒ •᷅₎ Debout

Les deux pieds bien plantés dans le sol.

Les bras qui pendent à partir de la ceinture scapulaire, et la tête qui s’élève naturellement vers le haut.

⇒Si vous le désirez, fermez les yeux, pour faciliter l’écoute de ce qui se passe en vous, dans ce moment où vous maintenez la station debout.

Vous la  maintenezparce qu’elle ne va pas de soi.

⇒Si vous ne tenez pas le corps, si vous ne l’obligez pas à rester immobile, mais que vos pieds ne changent pas d’espace, vous pouvez observer que des tas de petits mouvements se passent dans votre corps. (Bien sûr,) la respiration, bien sûr le battement de cœur, mais aussi des tas de  mouvementsréflexes, involontaires, qui éclosent ici et là.

⇒Parfois des sensations très concrètes à la surface de la peau, la capacité à percevoir la qualité de l’air, la lumière qui touche vos paupières fermées, vos yeux ouverts, les images qui apparaissent, le goût de l’ airque vous respirez.

Mais si vous plongez sous la peau à l’intérieur du corps, là aussi vous pouvez découvrir une myriade de sensations qui éclatent, ici et là, dans les articulations, peut-être dans le bassin, autour du sacrum.

Quelque par le long de la colonne vertébrale.

 

⇒On appelle cela la petite danse.

⇒⇒⇒⇒⇒⇒⇒⇒⇒⇒The small dance.

 

⇒Si cet exercice d’observation est un peu difficile, délicat, dans la position ou vous êtes actuellement, prenez le temps.

Prenez le tempsd’une grande respiration.

Longue inspire, longue expire,

Ne tenez rien.

Comment tenir debout sans rien  tenir, ou en tenant le minimum nécessaire pour que le squelette vous maintienne en équilibre ?

⇒ Ce qu’on appelle  équilibreest un constant rééquilibrage de la chute qui vient.

Où est le poids du corps ? Est-il en avant des pieds ? Plutôt sur les talons ? Comment est-ce que les chevilles réadaptent tout le temps la position du corps pour garder cet  équilibre?

Que se passe-t-il en vous quand vous maintenez cette attention ?

Est-ce que ça bouge ?

Est-ce que ça se fige ?

Est-ce que c’est mobile est ce que c’est immobile ?

Percevez-vous l’espace derrière vous ou devant vous les yeux fermés ?

Par quoi votre attention est-elle attirée ?

⇒ Qu’est-ce qui se passe en vous quand vous ne faites rien ?

 

 

⇒⇒ Petite danse par Patricia Kuypers, Drafting Interior Techniques Exhibition at Culturgest, Lisbon, 2019